Telma Yolanda Oquelí : blessée par balles au Guatemala, couronnée de laurier en Belgique et candidate au Stop the Killings Human Rights Award !
Le lundi 7 octobre, Telma Yolanda Oquelí était en visite en Belgique, invitée par la faculté de droit de l’Université catholique de Louvain dans le cadre d’un séminaire d’une semaine sur la violence et l’impunité en Amérique centrale. Elle y a reçu le premier prix Quetzal pour son profond engagement et a été nommée, pour la même raison, aux Human Rights Awards qui seront remis le 10 décembre.
Guido De Schrijver, de l’asbl Guatebelga, et le groupe de soutien « Solidair met Guatemala » l’ont interviewée.
Telma Yolanda Oquelí, quel est votre combat ?
Telma Yolanda Oquelí: « Kappes, Cassiday & Associates est une multinationale américaine qui cherche à extraire de l’or et de l’argent. Son siège se trouve dans le Nevada, aux États-Unis. Au Guatemala, c’est sa filiale Exmingua S.A. qui opère. Elle creuse dans nos communes de San José del Golfo et de San Pedro Ayampuc, dans des villages situés à environ 35 km de la capitale.
Les habitants de ces villages nous ont appris que l’exploitation minière en plein air – que la société minière gère dans cette région - a des conséquences dévastatrices. Les montagnes sont détruites et d’énormes puits creusent le paysage. Ils utilisent l’eau en quantité inconcevable. Dans nos régions, l’eau se fait déjà souvent rare. De plus, ils traitent les matières premières avec du cyanure, produit toxique qui risque de contaminer l’eau des rivières.
Les habitants ont fondé le groupe La Puya et organisé spontanément des consultations populaires. Une grande partie de la population s’oppose à la présence de cette exploitation minière polluante. Il y a toutefois toujours des gens qui espèrent obtenir un travail mieux rémunéré et d'être engagés par l’entreprise, et la communauté est donc divisée entre les partisans et les opposants à la mine.
Quelque quatre mille habitants ont érigé un barrage vivant pour empêcher l’accès au site minier jour et nuit.
Vous avez été la cible de tirs, mais vous continuez votre action
Telma Yolanda Oquelí: C’est arrivé en juin 2012. Un homme à moto s’est approché de ma voiture. J’ai tourné à droite, ouvert la portière et me suis jetée sur le côté. Il me tirait dessus, mais j’ai survécu. Dans ce conflit, beaucoup d’enfants ont perdu leur père. Je continue à vivre, avec une balle dans le corps.
Lutter pour les droits de l’homme au Guatemala est terriblement difficile et dangereux. Il y a beaucoup de violence, nous devons sans cesse encaisser des agressions. Mais nous savons que nous ne sommes pas seuls. La population nous soutient. Et à l’étranger aussi, comme ici en Belgique. Mes enfants seront fiers de me voir recevoir ce prix.
Les entreprises s’inquiètent pourtant de leur image
Telma Yolanda Oquelí: Cela ne se remarque pas beaucoup au Guatemala. Depuis que j’ai commencé à m’engager, je reçois constamment des menaces. Je pense que la société minière elle-même est responsable de l’agression qui a failli m’être fatale. Par ailleurs, et c’est assez curieux, le ministre de la Santé publique est venu me rendre visite à l’hôpital. Il est venu juste après l’accident, alors que personne en dehors de ma famille et de mes voisins ne savait ce qu’il s’était passé.
Des conflits de ce genre surviennent aussi ailleurs qu’au Guatemala.
Telma Yolanda Oquelí: À Totonicapán, Barillas, Ixcán, Mataquescuintla : c’est partout que les multinationales veulent extraire des minerais, construire des barrages et créer du courant électrique. L’État n’en profite pas, la population locale encore moins. Celle-ci doit pourtant subir la dégradation de l’environnement et les conséquences négatives de l’exploitation minière.
Partout, la population locale s’y oppose fortement. Mais la peur et la lassitude la frappe, surtout lorsque ses leaders sont arrêtés et atterrissent derrière les barreaux. L’intervention de la police et de l’armée suscite l’agressivité de la population qui se révolte.
Chez nous, ils ont déjà par deux fois essayé de nous faire abandonner le blocus de l’entreprise minière. L’agression est considérée comme un délit et est passible d’une peine de prison. Nous sommes toutefois parvenus à ne pas nous laisser influencer et recourir à l’agressivité.
Lors du blocus, il y avait des femmes et de enfants. Les hommes auraient vite cédé et répondu à l’agressivité par l’agressivité. Les femmes ont mieux réussi à garder leur calme et leur sang-froid. Elles priaient même, et chantaient des chants religieux.
Nous avons en effet opté pour une résistance sans aucune violence. C’est grâce à cela que nous sommes parvenus à faire durer le blocus depuis déjà 19 mois. Les équipes se succèdent toutes les 24 heures. Nous libérons la voie publique et empêchons seulement l’accès au site minier de l’entreprise.
Mais le mois dernier, un groupe paramilitaire a attaqué l’un des villages pendant la nuit. Ce groupe masqué a commencé à tirer en tous sens et a ainsi tué onze habitants.
Comment pouvez-vous continuer votre combat?
Telma Yolanda Oquelí: Nous allons entamer, au niveau national, toutes les procédures judiciaires nécessaires. L’étude environnementale que l’entreprise a présentée n’a pas de sens. Nous allons le dénoncer au niveau national si nécessaire pour arrêter les activités minières.
Malheureusement, nous avons une confiance beaucoup plus grande dans la communauté internationale que dans les autorités de notre propre pays, où le gouvernement est dirigé par les entreprises. Le gouvernement soutient que nous sommes contre le développement du pays. Et que nous sommes pauvres car nous le voulons bien. Mais nous savons que le gouvernement fait passer les intérêts des entreprises en priorité et se moque des intérêts et du bien-être de la population.
Une question qui revient souvent : que pouvons-nous faire ?
Telma Yolanda Oquelí: Des délégations internationales viennent régulièrement nous rendre visite. Cela remonte le moral de la communauté qui s’occupe du blocus mais créé en même temps une situation dérangeante pour le gouvernement, qui se rend compte que nombreux sont les yeux braqués sur ce conflit minier.
Le gouvernement considère ceux qui défendent les droits de l’homme comme des « criminels ». Et il sait que de nombreuses ONG apportent leur soutien à ces soi-disant criminels. D’où le fait qu’il essaye d’identifier ces organisations pour les incriminer à son tour. Vous pouvez nous montrer votre soutien en faisant connaître notre lutte et en dénonçant les abus des multinationales et la complicité de notre gouvernement.
Yolanda a reçu le prix Quetzal le 7 octobre. Ce prix a été créé par Guatebelga, un groupe composé des familles de religieux flamands tués au Guatemala.
Vous pouvez voter ici pour Yolanda pour le 'Human Rights Awards' de 2013.
Source : De Wereld Morgen